samedi 25 février 2023

Yves Jaillot : un artiste peintre français de Vitebsk aux multiples talents

Yves Jaillot
Notre ami Jim (voir : Rencontre avec Jim, un globe-trotter français amoureux du Bélarus) nous ayant parlé avec enthousiasme d'une personnalité hors du commun habitant à Vitebsk, il a piqué notre curiosité et nous avons cherché à en savoir plus. 
Nous avons ainsi pu découvrir Yves Jaillot, un artiste peintre français de grand talent établi au Bélarus et dont le parcours de vie atypique nous a tout de suite fascinés. Très jeune, dans sa Nièvre natale, il a manifesté des intérêts marqués pour diverses disciplines, et pas seulement artistiques, loin de là ! Tout le passionne : curieux de tout, il se met à apprendre beaucoup de matières en autodidacte, notamment les langues étrangères. Le plus étonnant est qu'il ne semble pas avoir changé depuis cette époque, il fourmille d'activités et arrive à transcrire dans ses toiles magnifiques la beauté de l'instant présent, les natures mortes ou encore des paysages de son pays de résidence, le Bélarus. Vive la jeunesse !

Nous espérons vraiment rencontrer Yves Jaillot un jour prochain ; pour l'instant nous vous offrons cet entretien au cours duquel il a bien voulu partager avec nous les détails de sa vie débordante.

Yves Jaillot, un grand merci pour accepter de partager avec nous quelques aspects de votre vie et de votre expérience de vie en Biélorussie. Pourriez-vous nous parler un peu de votre enfance dans votre Nièvre natale et de votre maison familiale de Charrin, près de Decize, à laquelle vous êtes attaché ? 

Le jardin de Charrin au printemps

Je suis né le 16 novembre 1963 à Decize, paisible bourgade en bordure de la Loire dans la Nièvre. Une enfance heureuse, équilibrée, avec une éducation solide dans une ambiance familiale stable. Mes souvenirs d’enfance sont très liés à cette maison familiale de Charrin, une sorte de repère intime et qui est remplie d’une atmosphère paisible, mystérieuse...  un havre de paix lié à la vie de ma mère.

On ressent très tôt chez vous une envie de partir à la découverte et de vous épanouir dans de nombreuses activités. Comment avez-vous cultivé le goût d'apprendre de nouvelles langues ?

Automne près de Starinki

Très jeune, je m’intéresse à de nombreuses choses. Tout est source d’intérêt et j’aime noter des anecdotes, avec l’idée dans ma tête de gamin de pouvoir les lire plus tard, quand je serai vieux ! Et cette manie de noter des anecdotes ou des idées me sert encore aujourd'hui dans la peinture : elle entre alors dans la notion du souvenir d’une atmosphère, d’un moment donné. J’ai donc jeune une grande soif d’apprendre par moi-même... car l’école, elle, me déçoit. Elève très timide, je n’y suis pas à l’aise, le monologue des profs ne retient nullement mon esprit. 

Alors un sentiment germe en moi : ce sentiment de perdre mon temps et de ne rien apprendre. D’un parcours modeste, j’en sortirai avec un CAP d’électricien qui ne me permettra même pas de trouver le moindre job ! Une seule matière me passionne, c’est l’apprentissage d’une langue étrangère... Pour moi c’est fascinant de pouvoir communiquer avec des personnes qui parlent une autre langue !!

Qu'avez-vous fait après ?

Allant de stages inintéressants en petits boulots pendant plusieurs années, en 1987 je passe divers concours et je réussis celui de surveillant pénitentiaire ; je vais y réaliser ma carrière jusqu’à novembre 2018, date de mon départ en retraite. Un métier aux antipodes de mes rêves de jeunesse mais je m’y suis adapté.

Nature morte aux prunes 

J’ai appris beaucoup au travers de ce difficile métier, tant ce qu’est l’être humain, tant ce que le système de l’administration pénitentiaire française a de plus mauvais. Nous pourrions dire qu'il s'agit d'un système pervers qui engraisse nos ennemis et la délinquance. C’est donc sans surprise que je vis mon départ en retraite comme une sorte de libération.

Comment ce goût extraordinaire pour l'art vous est-il venu ? J'ai lu dans un article que votre grand-père Amédée était aussi un peintre amateur. Que faisaient vos parents ? Il me semble que les visites effectuées avec eux vous ont aidé à développer votre sens artistique.  

C’est en famille, lors de visites de châteaux, dans des musées, que je découvre le goût pour l’art et pour les choses anciennes. Le don pour la peinture émane très vraisemblablement de mon grand-père paternel qui vivait dans une petite cité ouvrière et minière : La Machine. J'ai le souvenir d’un grand-père à l’attention toujours tendre, un homme très méticuleux et adroit. Il dessinait dans sa jeunesse dès ses 15 ans, sa seule distraction à l’époque. Il aura, et ce fut sa carrière, sa petite entreprise d’autobus dans la Nièvre. Ma mère fut secrétaire médicale à l’hôpital de Nevers et mon père délégué médical pour un grand groupe pharmaceutique.

Vous retournez régulièrement en France, avez-vous vu les choses changer là-bas depuis que vous habitez en Biélorussie ? Comment avez-vous vécu la période des confinements covid - je suppose que vous étiez en Biélorussie à ces moments-là ? Pour être plus précis, avez-vous remarqué des changements en France après cette crise sanitaire ?

Je rentre en France chaque année début juin pour entretenir ma maison et pour aider mes parents maintenant très âgés. Les contraintes de voyage se sont multipliées avec le covid et les simagrées invraisemblables en France particulièrement, puis il y a eu ensuite la suppression des vols Belavia qui reliaient Minsk à Paris en vol direct en trois heures, une régression incroyable dans la liberté de circulation made in EU (sous couvert US bien entendu). J’étais en Biélorussie au moment de la pandémie covid et je peux dire maintenant très clairement avec un regard objectif qu’ici en Biélorussie, tout s’est bien passé... Nous avons toujours par principe de base porté le masque dans les lieux publics. Oui, depuis cette pandémie des plus mystérieuses, c’est le moins que l’on puisse dire, la France a changé, le monde a changé... Là encore, j’ai cette idée fixe que rien n’est un hasard... comme si tout cela était programmé... D’après moi, les rapports humains en France déjà mis à mal par une société où l'on dresse les gens les uns contre les autres dans un individualisme exacerbé et maladif sont à l’heure actuelle en réelle perdition...

Le dégel

Qui le dit ? Pas moi !! Ce sont les Français, qui sentent bien que la pente qu’on leur fait prendre est une véritable catastrophe annoncée : une lente dissolution de notre culture, de notre religion et de notre tradition française, bref de nos bases d'indépendance en tant que nation. Toutes les personnes ayant du bon sens en France (et en Occident) l’ont bien compris et ce n’est pas une vue de l’esprit : l’hégémonie et l’impérialisme américain veulent imposer à la France et à l’Europe leur (sous)-culture... 

Pourriez-vous nous dire un mot de l'amicale de jumelage Nevers-Minsk ? Existe-t-elle encore ? Dans un contexte international tendu, existe-t-il encore des jumelages, voire même une volonté politique de poursuivre ces efforts de rapprochements culturels entre des villes françaises et des villes biélorusses ?

J’y aurais au fil du temps différentes responsabilités comme chargé de communication, trésorier et encore aujourd’hui comme vice-président. Déçu là encore de constater que la politique s’immisce là où elle ne devrait pas (association loi 1901). Depuis plus de 20 ans, j’ai pu constater que les différents maires de Nevers ont toujours été réticents à développer les échanges et les bonnes relations culturelles avec Minsk. Je ne m'étendrais pas sur l'état d'esprit hystérique actuel en France ou, au nom de la russophobie obligatoire, on bannit tout ce qui est russe, y compris notre association qui s'est vue être suspendue en mars 2022 par M. Denis Thuriot, maire de Nevers... auquel j'ai adressé mon ferme mécontentement, ce après quoi il a consenti à maintenir le volet Amicale fonctionnelle (échanges culturels). 

Votre épouse biélorusse est-elle aussi artiste ?

Mon épouse Tatsiana qui est biélorusse n’est pas artiste mais apprécie toutes les formes d’art.  Nous avons également une passion commune mon épouse et moi pour la nature, les forêts et les lacs où nous adorons réaliser de la photographie animalière... la faune biélorusse est absolument extraordinaire de richesse !

Yves Jaillot en compagnie de son épouse Tatsiana

J'aimerais vous poser quelques questions sur votre art. Vous peignez essentiellement des paysages et des natures mortes à l'huile sur toile, bois et carton. Je suis néophyte en la matière et je n'ai pas encore pu admirer vos toiles autrement que sur photos ; pourtant je suis très attiré par les couleurs chatoyantes de vos paysages. Il se dégage de vos peintures une nature rayonnante de lumière et de bien-être.

D'ailleurs, je pense que le nom de votre exposition à Vitebsk, dont le  vernissage a eu lieu le 18 novembre 2021, "Lumière et Atmosphère" a été très bien choisi.

Vous êtes-vous essayé à d'autres styles, comme les portraits ? Ou tout simplement ne voulez-vous pas vous risquer à peindre vos contemporains ?

Je me suis essayé au portrait mais ce n’est pas ma voie, semble-t-il !

En ce qui concerne la langue russe, que vous maîtrisez très bien, pourriez-vous m'expliquer comment se motiver pour son apprentissage ? Qu'est-ce qui vous a incité à apprendre cette langue ? Quels conseils donneriez-vous pour "se débrouiller" pour les premiers contacts avec les locaux ? De plus en plus de francophones me disent qu`à cause du grand nombre de règles et de la difficulté de la grammaire, il est préférable d'apprendre uniquement le vocabulaire en premier, le reste venant avec la pratique. Qu'en pensez-vous ?

C'est dans le cadre de l’amicale de jumelage Nevers-Minsk que j’ai commencé une approche. Pour apprendre une langue, il faut avoir l’envie et surtout je dirais le goût et l’amour de la communication ! J’ai appris seul la langue roumaine avec des livres, la motivation était mon premier mariage bien sûr ! Pour le russe, ma motivation était beaucoup plus forte et profonde... j’ai toujours été fasciné par la culture slave, ses valeurs et ses traditions merveilleuses... la sonorité de la langue, et particulièrement les chants ! Une anecdote qui rejoint la peinture : je peins en écoutant toujours de la liturgie orthodoxe russe... alors je rentre dans mon monde !!! Ma rencontre en 2010 puis mon mariage avec Tatsiana sont indéniablement des moteurs qui ont accéléré mon apprentissage ! La meilleure école est je pense l’immersion dans le pays et apprendre à se débrouiller par soi-même, aller dans les magasins, poser des questions... en somme essayer à tout prix d'entrer en communication avec l’autre ! Il est vrai que les livres sont sans doute excellents mais ils sont aussi un peu rébarbatifs et rigides ! Pour apprendre, il faut parler parler, parler !!!

Parlez-nous un peu de la patrie de Marc Chagall, Vitebsk. Comment y est la vie actuellement ? Comment voyez-vous les Biélorusses en général ? Existe-t-il une différence entre les gens de Vitebsk et ceux vivant à Minsk, la capitale du pays ?

La ville de Vitebsk est une très belle et grande ville universitaire où tout est facile et accessible ! Ville attractive, vivante et reposante, fleurie et très propre ! On trouve tout, on répare tout, en somme pour moi l’idéal. Depuis plus de quatre ans maintenant, j’habite un quartier plutôt rural de Vitebsk et j’avoue avoir un certain privilège... Pourquoi ? Je me sens à la fois à la campagne (jardin, rues calmes et paisibles, relationnel excellent avec les voisins et ceci est très agréable et important...) et à la ville, avec un réseau de transport fourni (tram, bus, minibus, taxi très peu cher...)  en quelques minutes nous sommes au centre ville ! Nous apprécions à Vitebsk les nombreux spectacles et expositions en tout genre, il y en a pour tous les goûts vraiment ! J’ai d’excellents rapports avec les Biélorusses, j’ai toujours été royalement bien accueilli dans tous les domaines. J’animais avant le covid deux fois par mois des clubs de discussions en français sur des thèmes variés ou bien encore j’ai fait de nombreuses interventions orales en Université ou en gymnasium : toujours très bien accueilli et j’ai souvent été touché par le grand intérêt que l’on me portait lors de ces rencontres : j’ai eu l’occasion d’y rencontrer beaucoup d’étudiants et j’ai pu ainsi me rendre compte du niveau élevé de l’école biélorusse et des valeurs de respect... saisissant et sans aucune comparaison avec la France... Je ne pense pas qu’il y ait une grande différence entre les personnes de Minsk et de Vitebsk... une chose est sûre : tous sont fiers de leur pays et de leur drapeau et je salue cette unité essentielle... Oui en effet, il faut souligner le goût prononcé des Biélorusses pour l’art et la culture en général, j’ai rencontré un grand nombre de personnes formidables lors de mes deux dernières expositions : Vitebsk en novembre 2020 et Minsk en septembre 2022... prochaine exposition : la ville de Borisov en août 2023 ! 

Trouvez-vous les gens de ce pays réceptifs à la peinture et aux artistes ? C'est extraordinaire qu'au XXème siècle Vitebsk était renommée pour ses artistes et ses écoles d'art, et beaucoup de peintres, comme Marc Chagall, ont voulu émigrer en France. Vous, vous faites le contraire, vous venez de France pour vous établir à Vitebsk ! Pensez-vous être une sorte de pionnier et que d'autres Français vont vous suivre dans ce chemin ?

Paysage près de Boutsiaj
Oui, Vitebsk était un centre renommé et incontournable de la peinture avec de nombreux artistes de renommée internationale, il l'est encore avec un fourmillement de talents et d’expositions variées. En effet, on m’a souvent souligné le fait de ma venue à Vitebsk comme étant un contre-courant de l’émigration de certains artistes de Vitebsk vers la France et j’avoue être fort touché et honoré de ce comparatif ! On peut dire sans aucun doute que je suis en effet le premier artiste peintre français à m’installer à Vitebsk en Biélorussie !

Vais-je faire des émules ? je ne sais pas, l’avenir le dira ! Je suis en outre membre de deux associations : espace Normandie-Niémen pour la promotion du souvenir de l’épopée historique des pilotes français associés aux mécaniciens russes, un beau et fort symbole et Mémoire Russe, association pour le souvenir des militaires et citoyens russes et soviétiques morts en France et la préservation des monuments militaires russes et soviétiques en France.

Je crois que vous êtes déjà très actif dans d'autres domaines à Vitebsk. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez fait don d'un triptyque à l'École 21 de Vitebsk et ce qu'il représente ?

C’est dans le cadre de la première association que nous avons offert ce triptyque à une école choisie par des responsables locaux à Vitebsk pour orner le hall de cette école. Il représente l’épopée de l’escadron Normandie-Niémen avec les dates, les étapes et les grands faits marquants dans une sorte de représentation allégorique. Ce fut une première étape qui malheureusement n’a pas eu de suite (covid) jusqu’à maintenant, puisque nous devions ensuite réaliser la décoration d’une salle de classe avec pour thème le Normandie-Niémen. Il faut préciser enfin que ce fait historique est scrupuleusement enseigné ici en Biélorussie et que chaque Biélorusse en connaît parfaitement l’histoire...  à l’inverse et malheureusement comme toujours, en France c’est le néant (je dirais même la négation) absolu du savoir.  Ces deux activités, clubs de discussions et activités avec l’école 21 ont été brutalement interrompues avec cette redoutable pandémie mais j’envisage bien sûr de les reprendre dans un avenir proche !

La partie centrale est en lien avec les différentes batailles marquantes de l'escadrille et les 2 autres parties latérales sont les pilotes français et les mécaniciens russes.

Ce triptyque est pour notre association un outil pédagogique mais il offre aussi la possibilité du recueillement. Le président de cette association, François Colinot de Nevers, a  offert ce triptyque à de nombreuses écoles en Russie et celui de Vitebsk est le premier en Biélorussie.




(Cliquez sur les images pour agrandir)

Bravo à vous ! Pourriez-vous enfin nous dire quels sont vos projets dans le proche avenir. Avez-vous d'autres expositions en vue ?

Rendez-vous à Borisov en août 2023 !

Merci beaucoup pour avoir partagé une partie de votre vie avec nous, à bientôt !

Liens :

Retrouvez Yves Jaillot (aussi connu sous le nom d'Ив Жайо 😏) sur son Instagram:


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